Le paradoxe de la tragédie

Comment est-il possible que les êtres humains puissent tirer plaisir des états désagréables? Telle est la question abordée par Hume dans son essai Sur la tragédie, qui est au cœur d'une discussion philosophique de longue date sur la tragédie. Prenez des films d'horreur, par exemple. Certaines personnes sont terrifiées en les regardant ou ne dorment pas pendant des jours. Alors pourquoi le font-ils? Pourquoi rester devant l'écran pour un film d'horreur?
Il est clair que nous aimons parfois être spectateurs de tragédies. Bien que cela puisse être une observation quotidienne, elle est surprenante. En effet, la vision d'une tragédie produit généralement du dégoût ou de la crainte chez le spectateur. Mais le dégoût et la crainte sont des états désagréables. Alors, comment est-il possible que nous jouissions d'états désagréables?
Ce n'est pas par hasard que Hume a consacré un essai entier au sujet. L'essor de l'esthétique à son époque s'est accompagné d'une renaissance d'une fascination pour l'horreur. La question avait déjà occupé un certain nombre de philosophes anciens. Voici, par exemple, ce que le poète romain Lucrèce et le philosophe britannique Thomas Hobbes avaient à dire à ce sujet.
"Quelle joie c'est, quand en mer les vents de tempête fouettent les eaux, de regarder depuis le rivage le stress intense qu'un autre homme subit! Non pas que les afflictions de quelqu'un soient en elles-mêmes une source de joie; mais de se rendre compte de quels troubles vous-même êtes libre, c'est vraiment de la joie. " Lucretius, Sur la nature de l'univers, Livre II.
"De quelle passion procède-t-il, que les hommes prennent plaisir à voir du rivage le danger de ceux qui sont en mer dans une tempête, ou en combat, ou d'un château sûr pour voir deux armées se charger mutuellement dans le champ? certainement dans toute la joie somme. sinon les hommes ne se précipiteraient jamais à un tel spectacle. Néanmoins il y a à la fois joie et chagrin. Car comme il y a de la nouveauté et le souvenir de [sa] propre sécurité présente, ce qui est un plaisir; il en est de même aussi la pitié, qui est le chagrin Mais le plaisir est jusqu'à présent prédominant, que les hommes se contentent généralement dans un tel cas d'être des spectateurs de la misère de leurs amis. " Hobbes, Éléments de droit, 9.19.
Alors, comment résoudre le paradoxe?

Plus de plaisir que de douleur

Une première tentative, assez évidente, consiste à affirmer que les plaisirs impliqués dans tout spectacle de tragédie l'emportent sur les douleurs. "Bien sûr, je souffre en regardant un film d'horreur; mais ce frisson, cette excitation qui accompagne l'expérience en vaut vraiment la peine." Après tout, pourrait-on dire, les plaisirs les plus délectables s'accompagnent tous d'un sacrifice; dans cette circonstance, le sacrifice doit être horrifié.
D’un autre côté, il semble que certaines personnes ne trouvent pas de plaisir en regardant des films d'horreur. S'il y a du plaisir, c'est le plaisir d'avoir mal. Comment cela peut-il être?

Pain as Catharsis

Une deuxième approche possible voit dans la quête de la douleur une tentative de trouver une catharsis, qui est une forme de libération, de ces émotions négatives. C'est en nous infligeant une forme de punition que nous trouvons un soulagement de ces émotions et sentiments négatifs que nous avons vécus.
C'est, en fin de compte, une ancienne interprétation du pouvoir et de la pertinence de la tragédie, comme cette forme de divertissement qui est la quintessence pour élever nos esprits en leur permettant de dépasser nos traumatismes..

La douleur est parfois amusante

Une autre, troisième, approche du paradoxe de l'horreur vient du philosophe Berys Gaut. Selon lui, être en admiration ou en souffrance, souffrir, peut dans certaines circonstances être source de plaisir. Autrement dit, le chemin du plaisir est la douleur. Dans cette perspective, le plaisir et la douleur ne sont pas vraiment opposés: ils peuvent être les deux faces d'une même pièce. C'est parce que ce qui est mauvais dans une tragédie n'est pas la sensation, mais la scène qui suscite une telle sensation. Une telle scène est liée à une émotion horrible, ce qui, à son tour, suscite une sensation que nous trouvons finalement agréable.
On peut se demander si la proposition ingénieuse de Gaut a réussi, mais le paradoxe de l'horreur reste certainement l'un des sujets les plus divertissants de la philosophie..